
« Les vagues allaient et venaient, sur le sable, elles allaient et venaient… bam ! l’écume, et en arrière, et à nouveau en avant et … bam ! un coup de langue au sable, toujours la même eau, toujours les vagues, avec la même eau, qui promet et ne donne rien, faisant toujours mine de rester là, en été et en hiver, et voici deux coquillages, essayez de nous attraper… «
Il y a la maison et il y a le jardin. Dans la maison vivent Madame Rosamaria et Monsieur Francesc, le jeune couple. Il y a les domestiques et les amis. Ils ne viennent que l’été, Monsieur et Madame, ils laissent Barcelone et passent plusieurs semaines à donner des fêtes et faire du bateau et profiter du jardin. Le jardin donne sur la mer, et c’est le jardinier qui en prend soin et nous raconte cette histoire. Il nous raconte avec une délicatesse déconcertante les liens qui unissent chaque personnage aux autres, les secrets que l’on se murmure dans les cuisines, derrière le lilas, dans la maison d’à côté, tout juste construite.
« Le ciel commençait vraiment à être étoilé et le soir on sentait quelque chose qui remuait dans les racines. Le printemps mettait chaque chose à sa place : la rose dans le rosier et l’oiseau sur la branche. »
Les gens viennent voir le jardinier, lui parlent. Dans ce jardin espagnol de la première moitié du XXème siècle, l’homme discret et tout autant taiseux que curieux du fourmillement des affaires des autres nous narre l’histoire de sa vie, de ses plantes et des humains autour. Car tout est à la même hauteur, les fleurs à replanter, à déplacer, les feuilles mortes à brûler et enfouir, et les drames qui se jouent dans la maison. Car la tragédie n’épargne personne, pas même l’aristocratie, et dans cette calme atmosphère de photo sépia se noue un drame.
L’écriture de Mercè Rodoreda a la douceur d’un matin d’été où les rayons du soleil baignent l’herbe grasse en pointillé au travers des feuillages. Le jardin, personnage du roman, souffle organique vibrant, nous enveloppe de ses parfums surannés de vacances bourgeoises. Et la tension qui monte, lentement, presque insidieusement, c’est le bleu tranchant des ciels d’août, implacable, déterminé. Tout fait appel à nos sens, dans une forme de retenue touchante. Il y a de l’émotion, mais rien ne déborde jamais, on sait se tenir, et c’est cette pudeur qui nous serre le cœur.
« Et quand elle peignait le ciel on avait l’impression qu’il allait en sortir une voix… Les choses qu’elle faisait me plaisaient chaque jour davantage. Et pourtant je n’y connaissais rien. Mais ce qu’on sent à l’intérieur… »
Que dire alors de plus si ce n’est que Le Jardin sur la mer est un précieux écrin, témoin d’une époque révolue. Que la rigueur des tabliers amidonnés côtoie la nonchalance des après-midis passés à peindre, à faire du cheval, mais que les chagrins y sont vifs bien qu’éphémères. Maîtres et domestiques, petites gens, aubergiste, on naît on se marie on meurt et la mer balaie tout cela de son ressac entêtant. Tout passe, tout refleurit, on ne garde en soi que les souvenirs poudrés des étés disparus. Un grand texte donc, et délicat, si délicat.
Le Jardin sur la mer. Mercè Rodoreda. Traduit du catalan par Edmond Raillard. Zulma (maison d’édition indépendante) , 2025. 250p.
