Geneviève Morand et Nathalie Ann Roy sont publiées aux éditions du Remue Ménage, une maison d’édition qui a pour but de faire lire et découvrir les pensées féministes et engagées, de proposer un monde plus juste et plus égal et de mettre en lumière les luttes pour le droit des femmes, des personnes lgbtqia+ et des personnes minorisées, les luttes antiracistes et anticapitalistes. Après Libérer la colère et Libérer la Culotte, les deux autrices reviennent pour disséquer un des sept péchés capitaux : la paresse. Un titre résolument nécessaire.
Notre lecture commence par une correspondance lente entre Geneviève Morand et Nathalie Ann Roy qui partage leur épuisement, leur fatigue, leur burn-out même et se demandent : qui a le droit au repos?
« On est pas folle : on veut de la justice. On est pas folles : on veut du repos. On est pas folles on veut du temps ».
Car dans ce livre, avant de libérer la paresse, il y a un constat commun : il y a une fatigue généralisée, un manque de temps permanent, une charge mentale croissante et au bout : l’exténuation. L’attente d’un week-end pour souffler, des vacances pour couper et parfois même, un congé maladie pour espérer se reposer. Et avec ces micros espaces pour décompenser : la fatigue toujours. La difficulté de ne pas culpabiliser à ne rien faire et l’incapacité à ne rien faire du tout, de penser un peu à soi . Tout doit être rentable et fructueux.
Un jour de repos? Il faut faire une activité culturelle ou sportive, s’occuper des tâches administratives, des enfants, des parents, des ami.es. Le temps n’a pas le temps. Le temps, c’est de l’argent…pour nourrir le grand capital. Combien de personne sont malheureuses au travail, reste plus longtemps et font des heures supplémentaires dans l’espoir d’être mieux rémunéré, de gagner un peu plus et par soucis de reconnaissance.
Le temps privé de détente, le travail qui aspire l’énergie et la motivation, qui laisse juste ce qu’il faut pour recommencer pareil le lendemain etc, etc.
Ce que les auteurices de ce collectif dénoncent, c’est le temps de travail qui déborde sur le temps personnel, ce temps pour soi qui est déjà si occupé par toutes les autres tâches qui incombent au quotidien. C’est le système capitaliste et libéral, qui demande toujours plus et affaiblit les populations, qui les rends malades et contraintes, soumises au sexisme, aux traumas, aux violences conjugales et aux violences politiques, la planète qui brûle et l’injonction malgré tout cela au bien-être et au développement de soi, à la beauté, à la rentabilité. Tout cela qui est l’apanage des privilégié.es car la paresse, c’est un luxe.
Tout ce programme peut faire peur, car après tout, lire un livre aussi juste sur les inégalités peut donner l’impression qu’il n’y plus rien à gagner, plus rien à sauver et pourtant, à travers ces vingtaines de récits et témoignages se construisent une nouvelle révolution : le droit à ne pas réaliser notre plein potentiel et de rester couché.es, à s’emparer de nos amitiés, de nos amours, de nos passions et de s’approprier la paresse pour tou.tes. C’est un essai vraiment décloisonnant et perspicace, qui donne à déconstruire notre rapport au temps et à repenser le travail tel qu’il est organisé actuellement, à bouleverser nos présupposés et à s’en libérer.
« Si on bûche trop fort, tout le temps, si on n’a pas le temps, pis si en plus, we set these fuckers up against each other en utilisant des stratégies de compétition, le tout sous le regard du merveilleux appât du gain, alors comment peut-on avoir le temps de remettre en question les systèmes qui nous oppriment, qui nous squeezent tout le jus jusqu’au burnout cyclique ou, oserais-je, permanent?
Les scripts ne sont bons que pour ceux qui les ont écrits. Les scripts sont incohérents, illogiques, arides, intolérables, désuets, performatifs, destructeurs, meurtriers, haineux »
Lets go pour la révolution tranquille.
Libérer la paresse, (dir) Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy, éditions du Remue Ménage, 21€
Avec les textes de :
ssayaka Araniva-Yanez, Joëlle Basque, Roxanne Bélair, Rébecca Boily-Duguay, Gabrielle Boulianne-Tremblay, Emilie S.Caravecchia, Zed Cézard, Josiane Cossette, Karine Côté-Andreetti, Marie-Pierre Duval, Yara El-Soueidi, Florence Sara G.Ferraris, Amélie Gillenn, J.D. Kurtness, Melissa Mollen Dupuis, Geneviève Morand, Heather O’Neill, Joanie Pietracupa, Nathalie Plaat, Pascal Raud, Shirley Rivet, Nathalie Ann Roy, Catherine Voyer-Léger et Cathy Wong.
Librairie La Nuit des temps 