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La rentrée de Jérôme

484 ! Voici le chiffre exact de romans publiés à l’occasion de cette rentrée littéraire 2025, soit notablement plus que le nombre pourtant non négligeable de livres sortis cette année sur la nécessité de la décroissance (et parfois chez les mêmes éditeurs). Voici une petite sélection de titres aimés car des textes marquants, dans cette étouffante profusion, il y en a toujours bien sûr !

  • La maison vide, Laurent Mauvignier, éditions de Minuit, 744 pages, 25€

C’est dans un style à la fois très dense et très déployé que Laurent Mauvignier questionne son histoire familiale (un des thèmes récurrents de cette rentré littéraire). Dans ce long texte immersif, les personnages prennent vie, l’atmosphère s’épaissit et la tragédie se met en place, inexorablement. L’écriture est à la fois classique et totalement contemporaine, ancrée dans la réalité historique et purement fictionnelle, du grand art. Ils ne sont pas légion les livres dont on sent directement durant leur lecture qu’ils nous marquent profondément, qu’ils rentrent dans notre panthéon personnel, et qui donnent envie, dans un élan de lyrisme peut-être un chouille pompeux, de les définir comme de la Littérature avec un grand L.

  • Dario Ferrari, La récréation est finie, éditions du Sous Sol, traduction de l’italien Vincent Raynaud, 442 pages, 24€

Marcello, étudiant peu motivé, se retrouve embarqué à faire une thèse sur Tito Sella, terroriste-écrivain des années de plomb en Italie. Sur cette base Dario Ferrari monte une structure assez habile (on sent le gros malin) lui permettant de se moquer du monde universitaire et des aspirations un peu pathétiques de son narrateur mais surtout de nous montrer le glissement d’un militantisme ironique d’une bande de pieds nickelés post situationnistes à une lutte armée mortifère. Un livre pétillant à l’arrière goût un peu amer.

  • Jouer le jeu, Fatima Daas, éditions de l’Olivier, 189 pages, 20€

Quelle est la nature du jeu qui se met en place entre Kayden, jeune lycéenne, et Madame Fontaine, sa professeure de littérature ? Après le formidable La petite dernière, Fatima Daas nous propose un nouveau roman d’apprentissage, de découverte de soi, d’élaboration de sa conscience sociale, et des frictions internes que cela génère. C’est une belle écriture de l’intime et une structure très maline pour poser la question fondamentale de ce que l’on fait de ce que les autres veulent faire de nous.

  • Le monde est fatigué, Joseph Incardona, éditions Finitude, 213 pages, 21€

Eve est une sirène, mais une sirène de spectacle, une femme fracassée qui coule avec grâce et nous allons l’accompagner dans sa quête de vengeance. Joseph Incardona est très fort dans l’élaboration de personnages atypiques dans des situations improbables et génère des images très marquantes. Si son livre précédent (Stella et l’Amérique) avait un lien avec le cinéma des frères Coen, on serait plutôt ici du côté de chez Tarantino, ambiance Kill Bill.

  • Petite robe noire et collier de perles, Helen Weinzweig, éditions Cambourakis, traduction Céline Leroy, 157 pages, 20€

Ce livre écrit en 1980 par Helen Weinzweig est bien étrange et bien fascinant. La narratrice semble chercher son amant, sorte d’agent secret aux multiples identités, quelque part dans Toronto en suivant des indices intuitifs plutôt intrigants. Au fil des pages l’amant s’hypothétise, ainsi que l’ensemble du monde décrit, dans un grand mouvement de déréalisation. L’image Audrey Hepburn (Basic Black with Pearls en VO) de la narratrice se désagrège progressivement et l’objet du livre apparaît : la mise en place de personnages symboliques permettant d’exprimer plusieurs facettes de l’oppression sociale imposée aux femmes.

  • Hell Gate Story, Arthur Nersessian, éditions La croisée, traduction Charles Bonnot, 316 pages, 22€

Orloff Trenchant, peintre new-yorkais, est brinquebalé dans la vie entre son art, sa précarité et des rencontres inattendues. Nous retrouvons ici tous les thèmes chers à Arthur Nersesian déjà dans les formidables Fuck Up et Dogrun : le chaos des relations humaines, la façon de réagir à ce que la vie offre de surprises, bonnes ou mauvaises, et New-York, New-York, New-York. Une intense déambulation dans un univers clair-obscur.

Cette rentrée voit aussi paraître deux autres titres que je voudrais évoquer : Que s’obscurcissent le soleil et la lumière (éditions Agullo, 354 pages, 23,50€), le dernier volume de la trilogie de Frédéric Paulin sur l’histoire du Liban de 1975 à 1990. C’est toujours aussi noir et bien construit pour nous faire entendre des évènements qui résonnent encore terriblement aujourd’hui. Et Les projectiles de Louise Rose (éditions POL, 171 pages, 18€) dont je ne veux pas dire grand chose pour ne pas en gâcher la structure à rebours mais dont le style, truffé de formulations étonnantes, est d’une énergie redoutable.

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