Coups de coeur, Littérature étrangère

Les preuves de mon innocence, de Jonathan Coe

« L’inspectrice repéra bien vite l’objet de ses soupçons parmi la foule de la gare de Paddington, malgré l’affluence de ce mardi matin et le hall qui grouillait de voyageurs. Elle regarda la silhouette furtive le traverser d’un pas pressé vers le quai n°5 et monter dans un train à destination de Worcester. »

J’ai une petite tendresse pour Jonathan Coe. Parfois il m’énerve et j’aimerais qu’il arrête de faire une fixette sur l’identité britannique et le Brexit, mais souvent j’aime bien ses romans, justement, car ils sont terriblement anglais. J’aime surtout quand il fait son gros malin. Et c’est exactement ce qu’il fait ici, mêlant son goût pour la politique britannique (notamment la montée de l’extrême droite) ainsi que pour les enquêtes ( Testament à l’anglaise, c’était si bien !). Ici, la forme joue avec le fond, et inversement.

Car voici ce dans quoi nous mettons les pieds : un prologue comme la résolution d’une enquête. Puis, le récit d’une jeune femme, Phyl, récemment diplômée et de retour chez ses parents. Elle travaille dans un restaurant d’aéroport, ne sait pas trop ce qu’elle va faire de sa vie. Un jour, ses parents accueillent pour le week-end un ancien ami de fac de sa mère, Chris. Il fait des recherches sur l’extrême droite et les conservateurs britanniques et se rend la semaine suivante à un congrès regroupant le gratin (de nouilles ?) en la matière. Phyl aimerait se lancer dans l’écriture mais ne sait pas vraiment dans quelle direction se lancer. Elle affectionne trois genres : le cosy crime, la dark academia et l’autofiction. Pensez-vous que Jonathan Coe pourrait être le genre de plaisantin à réunir ces trois formes dans un roman hybride jouant avec la question de qui écrit, y a-t-il un roman dans le roman ?

« – Oh. Le mien était petit, cheveux foncés, jean moulant.
– Pas le même homme, mais le même comportement.
– Tu l’as dit. Putain, je sais qu’on ne devrait pas faire une fixette là-dessus, c’est rien du tout, mais ça me rend dingue, ça fait une demi-heure que j’y repense. Cette
arrogance, cette façon de croire que tout leur est dû… »

Et il me fait marrer Jonathan, parce que pour un vieux mec blanc, eh bah il réussit quelques très belles, et drôles scènes de sororité féminine (ci-dessus à propos des types qui mansplainent les femmes sur le fonctionnement de l’ascenseur de l’aéroport). C’est pareil, on pourrait le croire bien éloigné du genre de la dark academia, ou de la série Friends (récurrente dans le roman). Mais en mêlant tout cela, en mêlant des générations, des manières de tisser des liens entre elles (un lien père-fille, non, deux même, plutôt beaux), de la pop-culture, des genres littéraires appréciés aujourd’hui, Jonathan Coe montre qu’il regarde et comprend le monde dans lequel il vit, et que le traditionnel clivage « jeunes/vieux » ne sert que les intérêts politiques des conservateurs.

La fiction est présente, mais le tout est lové dans un contexte historique et politique réel : mort de la Reine Elizabeth II, arrivée de Liz Truss en temps que première ministre. Jonathan Coe écrit sur la post-vérité, sur l’utilisation des mots pour leur faire dire absolument n’importe quoi, sur la privatisation du système de santé. Au travers de genres littéraires populaires, le réel vient infuser et dépasse la fiction. Le ton est parfois satirique, humoristique, parfois plombant mais on sent derrière chaque chapitre le regard complice de l’auteur, ce vieux filou qui sait exactement là où il nous emmène. Et qu’importe si on devine la fin avant qu’elle n’arrive, c’est confortable comme tout. En résumé, un bon roman sis dans la campagne anglaise, un meurtre, un retour dans le passé, Cambridge, une société secrète, les conservateurs en goguette, deux jeunes femmes un peu trop curieuses et une détective très gourmande. On a un bingo so british, malin, bien mené, difficile à lâcher.

Les preuves de mon innocence. Jonathan Coe. Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle. Gallimard (maison d’édition appartenant au groupe Madrigall), 2025. 477p.

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