Aymeric, notre apprenti en charge du rayon Polar de la librairie, a profité de ces dernières semaines pour se plonger dans des titres sortis il y a un petit moment, mais aussi pour découvrir de nouveaux coups de coeur en romans noirs et policiers. Il nous livre ici sa sélection.
Océan mer d’Alessandro Baricco
À la pension Almayer, « posée sur la corniche ultime du monde », sept personnages aux existences naufragées se retrouvent pour guérir et renaître. Dans cet endroit, où l’on « prend congé de soi-même », ces destins refoulés par la vie se dirigent vers un nouveau départ. La mer pansera t-elle leurs blessures ? Où trouveront-ils le salut dans la rencontre de l’autre ? Dans une langue incandescente pétrie de la cruauté des hommes et de la beauté de l’infini, Alessandro Baricco nous livre un roman minéral et incroyablement musical, drôle souvent, tragique parfois, en tout cas résolument rempli d’humanité. Eclatée comme un puzzle à reconstruire, la structure du récit vous étonnera sûrement. Ne vous arrêtez pas là, au contraire. Laissez vous porter par la poésie vibrante de ce roman virtuose et surtout, laissez vous submerger par l’infinie délicatesse littéraire d’un auteur au sommet de son art. Car si il existe des romans qui peuvent changer le cours d’une vie, Océan mer a le mérite de rester longtemps, longtemps en mémoire.
Océan mer, Alessandro Baricco. Folio, 8€
Une ardente patience d’Antonio Skarmeta
1969. le Chili, est un pays épris de liberté et de démocratie. Sur l’Île Noire, Mario a dix-sept ans et ne veut pas devenir pêcheur comme son père et la plupart des hommes de son village car amoureux des mots depuis toujours, il rêve d’écriture et de littérature.
Alors quand on lui propose de devenir facteur et d’avoir pour seul et unique client Pablo Neruda, il saute sur l’opportunité. C’est la vie des deux hommes qui s’en trouve irrémédiablement changée : de l’apprivoisement tâtonnant des débuts à une profonde amitié, leur relation évolue au gré de leur histoire commune mais aussi du fait des bouleversements apportés par la grande et capricieuse Histoire. Dans ce roman écrit au feu, Antonio Skarmeta invente un face à face inoubliable, peut-être un des plus beaux de la littérature, entre un poète qui rajeunit au contact de son jeune ami et un apprenti à la vie qui se jette dans les mots et se consume d’amour alors que leur pays s’embrase dans une crise politique sans précédent.
Récit sensible, sensuel, poétique et émouvant, Une ardente patience réchauffera les coeurs les plus endurants.
Une ardente patience. Antonio Skarmeta. Points, 7€30
Askja de Ian Manook
Après les paysages brûlés des steppes de Mongolie et la moiteur irrespirable du Brésil, Ian Manook rechausse ses crampons et retourne en Islande, nous livrant un polar virtuose, tout en minéralité et tendu à l’extrême. Suivez les pas de l’attachant inspecteur Kornelius Jakobson et de son équipe, qui, confrontés à une enquête particulièrement délicate, vont devoir fouiller le passé et faire face à une machination politique de grande ampleur, où les coupables ne sont pas ceux que l’on croit. Askja est un régal. Un régal de noir, de folklore et de paysages découpés dans le ciel. Alors qu’attendez-vous pour vous
aussi succomber à l’Islande ?
Askja, Ian Manook. Albin Michel. 21.90€
Que la guerre est jolie de Christian Roux
La ville de Larmon, située à quelques encablures de Paris, est sous la coupe électorale d’un maire plein d’ambition et qui a la folie des grandeurs immobilières. Alors qu’il s’englue dans les magouilles et les actes criminels pour chasser peu peu les gens, le devenir du quartier semble scellé. C’est sans compter sur les habitants qui ne l’entendent pas de cette oreille. Récit très juste et crédible d’une gentrification toujours plus galopante, Que la guerre est jolie est un roman sombre, social et bien ancré dans son époque. Allez, courez et venez prendre une part de ce gâteau au noir saupoudré d’une prose alerte et de thématiques sociétales.
Que la guerre est jolie. Christian Roux. Rivages noir, 9€50
Sugar Run de Mesha Maren
Jodi a 35 ans. Elle a passé plus de la moitié de sa vie derrière les barreaux et aujourd’hui elle sort sous liberté conditionnelle. Avant de pouvoir rejoindre sa famille dans les collines des Appalaches où quelques arpents de terre l’attendent, elle doit tenir une vieille promesse.C’est en route vers le Sud que ses pas se mêlent à ceux de Miranda, jeune mère solaire et déboussolée qui a pris la tangente matrimoniale. Coup de foudre instantané, la relation entre les deux femmes électrise le présent et augure un avenir meilleur. C’est pourtant sans compter sur un passé qui décidément ne se referme jamais sur lui-même. Premier roman écrit au feu par une autrice au style flamboyant, Sugar run détonne par son style et son souffle,où l’épique des plus grands road novels mâtine avec un suspense de tous les instants. Loin de la lumière des grandes villes, Mesha Maren nous livre une histoire inoubliable au milieu d’une Amérique des oublié·e·s et d’une nature foisonnante.
Une claque!
Sugar Run, Mesha Maren, Gallmeister, 23, 60 €
Les oubliés de Londres d’Eva Dolan
Alors que sur le toit d’un immeuble londonien bat le tempo d’une fête organisée par les militant·e·s qui défendent le bâtiment contre les promoteurs immobiliers et les expropriations qui attendent des habitants désemparés, deux femmes tentent tant bien que mal de se débarrasser d’un cadavre en le balançant dans un conduit d’ascenseur hors-service. Hella a la trentaine. Fille de flic en rupture familiale, elle est doctorante en sciences politiques et fraîchement engagée dans la lutte contre une gentrification toujours plus galopante. Molly, la soixantaine marquée des révoltes tatouées sur la peau, est une photographe au lourd passé d’engagement social et politique. Elle est surtout une des dernières habitantes de l’immeuble, Castle Rise. Au feu d’un récit où passé et présent s’entremêlent dans un savant mélange, le suspense s’installe. Qui est vraiment le mort et quel lien entretient-il avec les deux femmes ? C’est quand la police met la main sur le corps que la tension monte à son paroxysme, l’enquête faisant vaciller les fragiles constructions établies par les personnages. Avant que les masques tombent…
Récit intelligent d’une gentrification placée sous un étendard capitaliste qui annihile tout état d’âme, Les oubliés de Londres est un excellent roman noir, mené par une autrice dont la prose au vitriol s’attaque à parler des pratiques scandaleuses des promoteurs comme des violences faites aux femmes.
Tout simplement génial !
Les oubliés de Londres, Eva Dolan, Liana Levi, 21 €