Autour de nous, à la librairie, on entend souvent des personnes dire avoir envie de lire ou d’offrir des essais et des textes de sciences-humaines. Mais les freins et les hésitations sont rapidement là …
« Je vais rien comprendre »
« Je suis pas assez intelligent.e »
« Ça fait trop peur ! »
« C’est pas pour moi »
« Il y a trop de chiffres ! »
« Je ne comprends même pas le sommaire »
« Je me connais, je vais l’acheter, mais je vais jamais l’ouvrir ».
Les textes de sociologie, de philosophie, d’économie ou d’histoire sont autant de ressources passionnantes pour comprendre notre monde, le repenser et le changer. Pourtant, ils demandent souvent de la concentration, la maîtrise d’un vocabulaire précis ou des connaissances préalables. Les auteur.ice.s de sciences-humaines s’appuient constamment sur des travaux de leurs pair.e.s pour défendre leurs thèses. C’est donc assez normal d’avoir peur !
Néanmoins, en choisissant des ouvrages adaptés, il est possible de se lancer et de découvrir la pensée de nombreux.es auteur.ice.s ! Certains textes sont en effet plus faciles à lire : dédiés à la vulgarisation, vivants, fractionnés en chapitres indépendants, ou dépouillés de tout vocabulaire jargonnant.
Cette année, Hugo a donc décidé de vous faire découvrir le fonds de sciences-humaines en vous proposant des ouvrages plutôt accessibles. Jusqu’au mois de juin, chaque mois, une chronique présentera un coups de coeur parmi les parutions récentes.
Pour prolonger la réflexion et multiplier les approches, il présentera un titre plus ancien, classique ou contemporain, en lien avec cet ouvrage ainsi qu’une oeuvre de fiction (BD ou roman). En espérant que cela vous donne de nouvelles pistes de lecture ! Vous pourrez les retrouver en magasin !

Se savoir maître
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot forment un couple de sociologues reconnu dans le paysage universitaire et intellectuel français. Depuis la fin des années 1970, ils travaillent notamment sur les riches et ultra-riches de notre pays.
Ils ont régulièrement et dans de nombreux ouvrages mis à jour le fonctionnement de cette classe sociale particulière, les procédés dont elle use pour conserver ses privilèges, et les liens qu’elle entretient avec les plus hautes sphères du pouvoir. Le fait que certains hommes politiques mettent en place des mesures en faveur des plus riches n’est peut-être pas un hasard …
Il est donc troublant d’entendre ces derniers réfuter l’existence de classes sociales antagonistes, quand on connaît l’ampleur et l’efficacité des dispositifs mis en œuvre consciemment pour protéger leurs intérêts, conserver leurs héritages et cultiver l’entre-soi. C’est peut-être le privilège de se savoir maître.
Cet ouvrage nous ouvre sur les coulisses du travail d’enquête de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot qui se frottent depuis plus de 40 ans aux chasses à courre, aux courses l’Automobile Club de France et aux dîners mondains. Les deux sociologues se livrent ainsi à un jeu d’équilibriste, côtoyant les plus riches tout en décortiquant publiquement leurs positions.
Comment les personnes observé.e.s acceptent-elles de se livrer à ce jeu ? Pourquoi avoir choisi d’étudier les plus riches dans une perspective marxiste et ne pas défendre la parole des plus pauvres plus directement ? Quelle richesse apporte le fait de travailler en binôme ?
Autant de questions qui trouvent leurs réponses dans un ouvrage accessible, vivant et truffé d’anecdotes. La démarche singulière des sociologues évolue au fil du temps. Les rencontres avec des penseurs comme Pierre Bourdieu sont décisives. Racontées ici, elles nous offrent la chance de mieux cerner le métier de sociologue et les enjeux de la discipline.
Animé par un souci de vulgarisation et de partage de leurs savoirs, le binôme Pinçon-Charlot réussit une fois de plus à nous captiver !
Notre vie chez les riches, mémoires d’un couple de sociologues, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Zones,16 €.

Pour prolonger la réflexion :
- Le Manifeste du parti communiste, Karl Marx et Friedrich Engels, un texte théorique court, parce que les Pinçon-Charlot se revendiquent de la tradition marxiste, parce que c’est un texte fondateur qui a posé les bases de la notion de classe sociale, parce que prolétaires de tous les pays unissez vous (et lavez vos chaussettes*) !
- Les armoires vides, Annie Ernaux, un roman autobiographique français, pour la pertinence sociologique du regard de cette autrice, la manière qu’elle a de retranscrire les effets d’une déchirure sociale à travers l’expérience intime, et de décrire le lien entre l’appartenance à une classe et notre rapport au monde
* “Prolétaire, qui lave tes chaussettes ?” est un slogan féministe visant à dénoncer le manque de prise en compte des femmes dans les revendications des mouvements sociaux